Actuellement, en sciences humaines et sociales, de nouvelles formes de narration sont envisagées pour raconter et restituer autrement les résultats de la recherche scientifique : cinéma, son, spectacle vivant, roman-photo …. Le festival « Focus », qui se tient depuis quelques années à Marseille au MUCEM, en est une illustration. Dans ce domaine, l’archéologie est l’une des rares disciplines à avoir développé, depuis ses débuts, une écriture alternative axée sur ce que l’on nomme actuellement « l’économie créative », en restituant par les images son discours.
Le thème abordé dans le cadre de ces Ve Rencontres pose la question de la fonction sociale de l’archéologie dans le monde contemporain. Cette vaste question touche à l’histoire de la discipline et à la diffusion des connaissances scientifiques collectées par les archéologues avec des moyens techniques de plus en plus sophistiqués depuis l’avènement du numérique. Mais quel est le discours transmis au grand public par rapport à la réalité scientifique ?
Comment retranscrire les connaissances acquises sur les sociétés passées du Mésolithique, du Néolithique et de l'âge du Bronze à partir des seuls témoignages conservés dans le sol ?
Depuis le XIXe siècle, les recherches archéologiques mettent au jour les objets et structures du quotidien des communautés du passé. L’exploitation de ces données scientifiques, leur organisation afin de les rendre intelligibles, par l’image et le récit sont à même de retranscrire plus ou moins rapidement des phénomènes complexes comme les rapports sociaux au sein de groupes humains, les échanges ou les univers symboliques. Des représentations figurent dans les rapports scientifiques ou les publications dans le but de faciliter la lecture des données qui peuvent être parfois un peu rêches mais aussi pour mieux visualiser les hypothèses avancées. De fait les archéologues construisent des scénarios propices à une mise en image, à l’aide d’outils sans cesse perfectionnés (drone, photogrammétrie, microscopie, imagerie hyperspectrale, …). Par ailleurs, pour bâtir leur récit, les multiples exercices d’expérimentation enrichissent considérablement les hypothèses, qu’il s’agisse de la compréhension des espaces habités, des activités artisanales, rituelles ou domestiques.
Nous souhaitons donc questionner aujourd’hui les professionnels qui oeuvrent dans les disciplines de l’archéologie, de l’ethnoarchéologie, de l’expérimentation, de l’ethnologie, de la photographie, du cinéma, du documentaire, de la bande dessinée, du roman, … jusqu’à la scénographie d’exposition, tout ce qui nourrit notre imaginaire collectif sur ces populations éloignées dans le temps.
Quels sont les outils et les méthodes employés ? Comment se fait le passage d’une réalité matérielle archéologique à des scénarios construits, souvent plus abstraits ? Les représentations proposées constituent-elles un outil pertinent, à part entière, pour une meilleure compréhension des populations pré- et protohistoriques ? Comment se construisent les collaborations entre archéologues, expérimentateurs, réalisateurs et professionnels de l’illustration ?
Les objectifs de ce colloque sont de permettre un état des lieux sur les restitutions de la vie des populations du passé. Les images se multiplient avec l’évolution rapide des techniques graphiques et de communication, mais aussi avec l’arrivée de nouveaux dispositifs tels que l’intelligence artificielle. Si l’image traitée sous différents formats (exposition, bande dessinée, documentaire, fiction…) constitue un merveilleux outil pour un développement large et une diffusion rapide, il convient de porter attention aux attendus déontologiques que ce travail impose.
Les communications porteront donc sur ces thèmes regroupés selon trois axes :
Axe 1 : Le passé recomposé : de l’image à l’expérimentation – Études de cas
À partir d’un plan de fouille en deux dimensions nous passons à des reconstitutions en élévation…. De la fouille des déchets à la production d’objets manufacturés, des rejets culinaires aux ressources naturelles et aux moyens de subsistance et de la tombe au défunt et aux rites funéraires…. D’objets socialement valorisés aux univers symboliques.
Ce premier axe pose la question de la reconstruction des scènes de vie du passé restituées à partir des données de l’archéologie, c’est-à-dire rendre tangible ce qui a disparu depuis longtemps à partir de vestiges de la culture matérielle. Il interroge sur la nécessité du passage à l’image pour formaliser la plus plausible représentation à partir de données souvent partielles. Le spectre des images est aujourd’hui extrêmement varié, du dessin technique à la représentation artistique, de la modélisation à la cartographie en 3D.
L’ethnologie et l’expérimentation sont des disciplines qui questionnent nos interprétations. L’expérimentation est une forme de représentation en soi mise en oeuvre dans un cadre scientifique. Si le résultat de l’expérimentation vise à se rapprocher au plus près de l’objet archéologique étudié dans toutes ses composantes, c’est aussi un moyen de communication et de partage avec le public, friand de récits historiques et d’animations proposées dans les parcs archéologiques.
À la fin du XXe siècle l’ethnoarchéologie, discipline hybride, a concentré ses efforts sur l’étude de la culture matérielle et des systèmes techniques de production des sociétés traditionnelles actuelles, de plus en plus rares, qui développent des stratégies « comparables » à celles des cultures anciennes, étudiées par l’archéologie. En documentant ces différents domaines, ces études comparatives permettent d’alimenter et de documenter des savoir-faire disparus.
Dans ce premier thème, les contributions porteront sur les résultats d’approches expérimentales et ethnoarchéologiques en lien avec des données archéologiques et les enseignements qui en découlent. Il s’agira aussi d’évaluer les impacts sur les restitutions d’images figées (panneaux, maquettes, bandes-dessinées, images 3D). Ces propositions peuvent concerner tous les aspects de de la vie quotidienne, de l’environnement, la question du genre, de la religion, voire du handicap dans les sociétés de la Pré et Protohistoire.
Axe 2 : Du film documentaire à l’expérience en réalité virtuelle – Études de cas
Dans une société moderne fondée sur le visuel (fixe ou en mouvement), comment les archéologues utilisent l’image animée pour comprendre et valoriser les résultats de leurs recherches ? Certes cartes, graphiques, photographies, dessins techniques sont présents pour illustrer le propos scientifique mais plus concrètement : comment animer les visages, corps et attitudes ? Comment représenter les objets en situation, en mouvement dans un espace géographique et dans le temps ?
La restitution du quotidien repose sur les différents vestiges mobiliers et immobiliers conservés et fossilisés par le temps, relatifs à la vie domestique : l’architecture, les occupations vivrières et agricoles, les terroirs et paysages, les productions artisanales, mais également sur les données susceptibles d’éclairer les pratiques funéraires, les croyances, la guerre, les mobilités…
Chercher à représenter les sociétés anciennes pousse l’archéologue à un niveau d’abstraction qui dépasse le plus souvent l’interprétation première des données archéologiques, même s’il reste au plus près des faits observés.
Dans ce deuxième thème, sont sollicitées les différentes expériences de restitutions animées, du Mésolithique à l’âge du Bronze. Ces études de cas devront montrer la difficulté de l’exercice de production de films, de documentaires, de scènes scénarisées en général (audiovisuel, réalité virtuelle, spectacle vivant etc.). Quels sont les interrogations, contraintes, choix et verrous qui s’imposent aux créateurs ? Plus largement, ces images modifient-elles la manière de travailler ou les propositions de l’archéologue ?
Axe 3 : La « bonne » représentation archéologique
Dans cette troisième session sera abordée la question de la rigueur scientifique apportée aux restitutions par les archéologues. De nombreuses valeurs sont partagées par la communauté : ne pas falsifier les données primaires, documenter les méthodes et outils utilisés, citer ses sources etc. Finalement, il convient de se demander sur quelles recommandations s’appuyer pour que les données utilisées et leurs représentations répondent aux exigences scientifiques ? Nous nous interrogerons sur les impératifs assurant l’honnêteté des représentations, sur la limite entre pratiques permises et pratiques incompatibles avec l’éthique. Au même titre que la déontologie dont font preuve les restaurateurs d’objets, comment différencier le factuel, l’interprétation et les hypothèses ? Peut-on utiliser de la même manière une représentation archéo-compatible “scientifique” et une expression plus libre et plus suggestive. L’archéologue doit-il garder le contrôle sur ces créations en particulier à destination du grand public, ou doit-il « seulement » garantir une bonne critique de ses propres données à l’origine de ces propositions ? Reconnaître la représentation archéo-compatible “scientifique” de la caricature, demeure un enjeu constant.
A-t-on assez de recul et d’expérience aujourd’hui pour définir des critères de fiabilité de ces représentations ? Il ne faut pas négliger les enjeux et les risques de ce type de synthèses imagées pour la discipline car l’archéologue est confronté désormais à de nouveaux médias, en particulier numériques qui, s’ils offrent de nouvelles possibilités (3D, Intelligence Artificielle), modifient aussi en profondeur les usages, mais également leurs prérequis ou leurs perceptions.
Concernant ces scènes et tableaux de vie du passé, quelles évolutions constatons-nous depuis la deuxième moitié du XIXe siècle ? Quel crédit scientifique doit-on leur donner ? Jusqu’où aller dans l’interprétation et quelles en sont les limites ? Pourrions-nous imaginer que les illustrations puissent être documentées comme peut l’être le discours scientifique par l’insertion de références bibliographiques, ou dotées d’un indice de fiabilité de l’information, par exemple ?
Finalement, après retour d’expérience, qu’apportent ces nouvelles méthodologies de travail à l’archéologue d’aujourd’hui ? Comment perçoit-il son travail grâce au recours à ces propositions de représentation des populations anciennes ? Cette manière de communiquer est-elle compatible, en opposition, avec une médiation de la discipline à destination du grand public ?
Pour ce troisième axe, les interventions attendues traiteront des aspects déontologiques liées aux représentations issues des données archéologiques. Il s’agira de retours d’expérience, de traiter des écueils ou des protocoles éventuels, testés ou à mettre en place. Une réflexion plus globale par type de média peut également être proposée.
Comité d’organisation : Géraldine Faupin (SRA HdF), Samuel Guérin (Inrap HdF), Emmanuelle Leroy-Langelin (CD 62), Yann Lorin (Inrap HdF), Claude Mordant (Aprab), Élisabeth Panloups (CD62), Ivan Praud (Inrap HdF), Mafalda Roscio (Université de Lille), Marc Talon (SRA Bourgogne-Franche-Comté)
Comité scientifique : Vincent Ard (CNRS), Tahar Benredjeb (festival du film d’archéologie d’Amiens), Frédérique Blaizot (Université de Lille), Géraldine Faupin (SRA HdF), Muriel Gandelin (Inrap Midi-Méditerranée), Christophe Goumand (Festival International du Film d’Archéologie de Nyon), Samuel Guérin (Inrap HdF), Philippe Hannois (SRA HdF), Patrice Herbin (CD 59), Sandrine Huber (Université de Lille), Emmanuelle Leroy-Langelin (CD 62), Yann Lorin (Inrap HdF), Florent Mathias (APRAB), Claude Mordant (APRAB), Théophane Nicolas (Inrap GO), Élisabeth Panloups (CD 62), Romain Plichon (Somme Patrimoine), Céline Piret (MiaBw) Ivan Praud (Inrap HdF), Bénédicte Quilliec (SRA Bretagne), Mafalda Roscio (Université de Lille), Ingrid Sénépart (RMPR), Marc Talon (SRA BFC), Claire Tardieux (responsable du site des Menhirs de Monteneuf)